Les violences constatées lors des dernières mobilisations sociales semblent avoir relancé le sempiternel débat sur la réponse de l’État face aux violents et radicaux. Dernièrement, sans consultation préalable, c’est le spectre d’une nouvelle loi anticasseurs qui est agité. Les empêcher d’agir, les interpeler, les sanctionner sévèrement est une nécessité mais force est pourtant de constater que nous disposons aujourd’hui d’un arsenal juridique complet pour cela.
Cet état du droit résulte autant des conclusions de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre (rapport publié en janvier 2021) que de dispositions législatives et règlementaires déjà adoptées. Le renforcement considérable depuis 2017 des effectifs et des moyens de nos services de renseignement, la généralisation des caméras portées par les policiers et les gendarmes eux-mêmes, l’utilisation de produits de marquage pour faciliter l’identification des individus violents ou encore la création d’un cadre juridique pérenne pour l’usage de drones dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, offrent à nos forces de l’ordre une large palette d’outils pour empêcher ou entraver les casseurs dans les mobilisations.
L’usage de ces drones n’a été retardé que par l’absence des décrets d’application enfin parus le 19 avril 2023. Une première utilisation a pu en être faite à l’occasion des manifestations contre le projet de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Le 1er mai dernier, à Lyon, ces caméras dites « auto-portées » ont permis de prévoir la formation d’un black-bloc que les policiers déployés sur place ont immédiatement dispersé. Grâce aux images, ils ont pu procéder à deux interpellations d’individus violents. Dans ces circonstances, est-il besoin de revenir une énième fois à des propositions censurées par le juge constitutionnel et par ailleurs parfaitement inefficaces ? La réponse est non. En 2019, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs censuré l’article 3 de la loi dite anticasseurs créant les interdictions administratives de manifester.
Si l’imprécision comme la disproportion d’une telle mesure étaient en cause, c’est aussi son opportunité qui était douteuse. C’est au juge qu’il appartient de sévèrement juger ceux qui commettent ces actes insupportables. Le lien fait à l’époque avec l’interdiction administrative de stade (source d’inspiration d’alors pour le gouvernement) n’est pas plus pertinent. Nous avons montré avec madame la ministre Marie-George Buffet le caractère excessif du régime de ces interdictions et nous avons fini par le modifier à l’occasion de la dernière loi sur les jeux olympiques et paralympiques (réduction de la durée, du champ d’application et interdiction du cumul entre une interdiction administrative et une interdiction judiciaire).
Injustifiée donc en ce qui concerne la tenue des manifestations mais injustifiée également en matière pénale. Alors que d’aucuns souhaitent le rétablissement de peines planchers, nous avons établi, avec le Garde des Sceaux et à l’occasion de travaux parlementaires, que ce dispositif était parfaitement vain. D’abord parce que la liberté du juge lui permet d’y déroger comme bon lui semble. Surtout, et heureusement, parce que le juge est plus sévère que la peine minimale d’un an proposée en cas de récidive d’atteinte à l’intégrité physique de personnes dépositaires de l’autorité publique. En effet, la moyenne des sanctions prononcées atteint 14 mois, soit un quantum sensiblement supérieur à ceux suggérés.
Enfin, les citoyens comme les législateurs ne doivent pas oublier que les transformations profondes prennent du temps. C’est le cas de ce que nous avons entrepris avec le Beauvau de la Sécurité concrétisé depuis novembre 2022 en Loi de Programmation et d’Orientation du Ministère de l’Intérieur (LOPMI). Plus d’effectifs, des policiers mieux formés, mieux encadrés, c’est ce que nous avons décidé et ce que nous déployons.
Cette révolution silencieuse, tout comme les autres mesures énumérées ici et toutes celles tues par esprit de synthèse, vaut bien mieux qu’une nouvelle loi fort certainement aussi bâclée qu’inutile.